LES DROITS DE PROPRIETE INTELLECTUELLE LIES AUX ŒUVRES GENEREES PAR L’IA
Qu'est-ce que l'IA générative ?
L’IA générative (IAG, en anglais GenAI) est une catégorie d'IA qui permet la production, plus ou moins autonome, de contenus tels que des textes, images, vidéos, sons, codes, etc., par des systèmes informatiques recourant à des modèles avancés d'apprentissage automatique (tels que GAN ou GPT).
Concrètement, grâce à cette technologie (le deep learning), on peut générer des algorithmes capables d'apprendre de manière autonome et de s'améliorer graduellement. Son usage est facilité par un accès massif aux données via Internet. Les contenus ainsi générés peuvent ressembler aux œuvres créées par des humains.
Quelles sont les principales problématiques et leurs enjeux ?
Se pose alors la question du caractère protégeable par des droits de propriété intellectuelle de créations produites à l’aide de « machines intelligentes » (ou plutôt de systèmes d’IA à usage général) et de la titularité des droits permettant leur exploitation.
Pour fonctionner, s’entraîner et améliorer leurs performances, ces systèmes d’IAG requièrent l’utilisation massive de données existantes, parmi lesquelles des œuvres de l’esprit qui ne sont pas nécessairement tombées dans le domaine public. Ainsi, les concepteurs des technologies et les utilisateurs de l’IAG peuvent se retrouver confrontés aux droits et à des revendications de tiers sur des œuvres préexistantes qui ne sont pas « libres de droits ».
Création littéraire, artistique, musicale ou audiovisuelle, édition de logiciels ou de bases de données, presse, etc., nombreux sont les secteurs et acteurs du champ artistique, culturel ou intellectuel à être affectés par les progrès fulgurants des systèmes d’IAG à usage général et l’utilisation massive d’œuvres protégées par des acteurs aussi puissants qu’OpenAI, Google, Meta, etc.
Les modes opératoires des modèles d’IA tels le data scraping ou le data mining ne facilitent guère la transparence quant aux données utilisées ni l’exercice concret des droits de propriété par les créateurs et ayants droit.
C’est à ces deux séries de problématiques que nous allons tenter ici de répondre de façon sommaire, en nous bornant, compte tenu du format restreint de cet article, à les traiter sous le seul angle du droit d’auteur français. Ce qui laisse de côté les questions de droit international ou les réponses de systèmes juridiques étrangers et les questions soulevées par l’IAG dans d’autres branches du droit de la propriété intellectuelle telles que les brevets, les marques ou les dessins et modèles.
I. Les contenus générés par un système d’IA générative sont-ils protégeables par le droit d’auteur en tant qu'œuvres de l’esprit et si oui, qui en est l'auteur et à qui appartiennent les droits d'exploitation des telles créations ?
Un contenu créé par une IA peut-il être protégé par le droit d’auteur français ?
En France, le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) ne protège par les droits d’auteur que des « œuvres de l’esprit », même si leur définition est assez large, puisque le genre, la forme, la destination et même le « mérite » (autrement dit la qualité ou la valeur) des œuvres sont indifférents (art. L. 112-1 CPI) et que les logiciels sont eux aussi des œuvres de l’esprit (art. L. 112-2-13°) protégés par un régime proche du droit d’auteur classique.
Selon les critères jurisprudentiels, dès lors qu’elle est « originale », c'est-à-dire qu'elle exprime ou reflète la personnalité de l’auteur, l’œuvre est protégée dès sa conception (art. L. 111-1 du CPI : "du seul fait de sa création").
La notion d’auteur y est centrale, ce qui laisse supposer qu’il s’agit d’un créateur humain. « La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée. » (Art. L. 113-1 CPI). L’article L. 113-7 du CPI est encore plus clair : « Ont la qualité d'auteur d'une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre. »
Une création « sans auteur » relève d’un concept philosophique, littéraire ou artistique (comme dans la pièce Six personnages en quête d’auteur de Pirandello), mais non pas juridique, en tout cas à ce jour. La qualité d’auteur suppose, d’après les textes du Code de la Propriété Intellectuelle et la jurisprudence, un acte créatif conscient et délibéré, résultant de « choix libres et créatifs » (voir par ex. Tribunal Judiciaire de Paris, 7 février 2025, n° 22/09210).
La réponse de la Cour de cassation n’est pas moins établie : les auteurs d’œuvres de l’esprit sont exclusivement des « personnes physiques ». Ne sauraient avoir cette qualité les « personnes morales » (Cass. Civ., 15 janvier 2015, n°13-23.566), tels que groupements, syndicats, sociétés, associations, etc., du moins en tant que titulaires originaires des droits (puisque rien ne les empêche d’en être les cessionnaires et de les exploiter alors sous leur nom).
Dès lors on ne voit pas à quel titre une machine intelligente ou d’un système d’IAG pourrait prétendre à la qualité d’auteur, du moins en l’état du droit positif, la question de « l’autonomie » d’un algorithme inconscient étant indifférente pour décider de cette qualité d’auteur.
A noter, pour un motif similaire (i.e. l'absence de possibilité d'attribuer la paternité d'une œuvre de l’esprit à une machine), un tribunal étasunien a refusé en 2023 le bénéfice de toute protection par le copyright à une création picturale générée par un système d'IA, de façon totalement autonome selon son concepteur, le Dr. Thaler.
En outre, une machine intelligente ou un système d’IA ne saurait jouir d’aucun droit, puisqu’elle n’a pas dotée d'une personnalité juridique, autrement dit elle ne possède aucune qualité pour jouir d’une hypothétique qualité d’auteur. Et inutile de gloser sur un droit des robots, un tel droit subjectif étant une chimère, du moins en l’état de la technologie et du droit d'auteur actuels (1).
Pour autant, les contenus créés grâce à l’usage d’une IA sont-elles protégeables ?
Dès lors que peuvent être établis le rôle actif et les choix créatifs d’une personne douée de conscience dans le processus complet de création assisté par l’IA (par exemple, dans la programmation ou l’orientation et la complexité des directives de création), selon les critères définis plus haut, rien n’empêche a priori de reconnaître la qualité d’œuvre de l’esprit à une telle création et d’en attribuer la paternité à l’auteur humain.
A l’inverse, si une prétendue œuvre est générée de façon totalement autonome par un système d’IAG, sans aucune intervention humaine et créative, la réponse serait négative.
Qui est le titulaire des droits d’auteur sur les créations d’une IA générative ?
Deux hypothèses sont envisageables :
- Reconnaître la paternité de l’œuvre au concepteur du système d’IA générative,
- Reconnaître la paternité de l’œuvre à l’utilisateur du système d'IA, eu égard notamment aux directives fournies lors du processus créatif.
En reprenant le critère du rôle actif et des choix créatifs de l’intervenant humain dans le processus de génération de contenus orignaux, et à condition qu’il puisse être établi par des traces conservées du travail créatif humain en amont et en aval de la production de contenus (dont les prompts et le travail postérieur à l’output), la protection par le droit d’auteur devrait pouvoir bénéficier aux utilisateurs d’un système d’IA.
Sur la base des mêmes critères, on voit mal comment le propriétaire ou le concepteur du système d’IAG (autrement dit des algorithmes fournissant les seuls moyens de la création de contenus) pourrait revendiquer une qualité d’auteur de telle ou telle œuvre de l’esprit précise.
Toutefois, rien n’empêcherait le propriétaire ou le concepteur d’être désigné comme le cessionnaire aux termes des conditions contractuelles de licence d’utilisation (i.e.: contrat conclu entre celui-ci et les utilisateurs du système d’IA). Ces licences seront donc amenées à jouer un grand rôle dans les modalités d’exploitation concrètes des contenus générés ou dans les restrictions contractuelles apportées au droit de l’utilisateur d’exploiter, de reproduire, d’adapter ou de distribuer librement ces résultats.
Nul doute que les tribunaux sauront dégager à l’avenir des solutions et clarifier les débats qui ne manqueront pas de naître entre ces différents acteurs. Mais pour l'heure, la jurisprudence manque évidemment sur ces questions.
II. Les propriétaires et utilisateurs de systèmes d’IA peuvent-ils utiliser sans autorisation les données ou œuvres de l’esprit existantes ? A quelles obligations sont-ils soumis ?
Une autre grande question posée est celle du régime juridique des données d’entraînement des systèmes d’IA générative ou encore de la reprise, par des œuvres générées automatiquement par le système d'IA, d’éléments d’œuvres préexistantes protégées au titre du droit d'auteur.
Aux termes de l’article L. 122-4 du CPI, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. »
Ainsi, une autorisation des titulaires de droits d’auteur est requise pour toute utilisation.
Toutefois, une exception légale pour « la fouille de textes et de données » a été créée (art. L. 122-5-3 CPI). Des copies ou reproductions numériques d'œuvres peuvent être réalisées sans autorisation des auteurs en vue de telles fouilles s’il y a été accédé de façon licite et si elles sont menées à des fins de recherche scientifique et par certains organismes. De plus, et cela va plus loin, toute personne est en droit de reproduire numériquement des œuvres pour des fouilles de textes et de données, y compris pour un motif étranger à la recherche scientifique, sauf si l'auteur s'y est opposé.
Pour autant, toute reproduction des contenus des bases de données ou d'œuvres de l’esprit accessibles licitement n’est pas permise.
L’Autorité française de la Concurrence vient ainsi de condamner des sociétés du groupe Google au paiement d’une sanction de 250 millions d’Euros pour n’avoir pas respecté des engagements obligatoires concernant les modalités d’application de la loi n°2019-775 du 24 juillet 2019 établissant un droit voisin au bénéfice des agences et des éditeurs de presse (ADLC, Décision du 15 mars 2024 - 24-D-03).
En pratique, ces droits sont à ce jour peu respectés par les fournisseurs de modèles d’IA, même si l’on commence à observer des accords conclus au cas par cas entre certains d’entre eux et des titulaires de droits, notamment dans le secteur de la presse (2).
Mais les ayants droit commencent donner de la voix ensemble et, peu à peu, aussi à se faire entendre.
Ainsi, à la suite du Sommet pour l’IA qui s’est tenu à Paris en février 2025, un groupe d’auteurs et d’éditeurs représentés par trois syndicats, dont le Syndicat National de l’Edition, vient d’annoncer le 12 mars 2025 avoir assigné META devant le tribunal Judiciaire de Paris. Sur quels bases légales et pourquoi ? Des faits allégués de contrefaçon et de parasitisme économique liés à l’utilisation non autorisée et non rémunérée de centaines de textes français protégés par le droit d’auteur afin d’entraîner son modèle d’IA générative.
En outre, si une œuvre générée par l’IAG reprend des éléments essentiels d’une œuvre pour créer une nouvelle œuvre, autrement dit une « œuvre composite » ou dérivée, au sens de l’article L. 113-2 du CPI, une autorisation préalable de l’auteur de cette œuvre préexistante dont elle est tirée est impérative (art. L. 133-4 CPI), du moins avant toute communication au public (Cass. Civ. 1ère, 17 novembre 1981).
En cas de violation de ces droits, le contrevenant s’expose à une action en contrefaçon des tiers concernés, avec mesures d’interdiction et dommages-intérêts au plan civil, sans compter d’éventuels recours au plan pénal.
Les concepteurs et utilisateurs de l’IA générative seraient avisés de se montrer prudents et de vérifier si des oppositions ont été émises par les titulaires des droits avant d'utiliser des données privées ou de solliciter des autorisations ou des licences d’exploitation des auteurs d’œuvres préexistantes en cas de reprise d’éléments dans une œuvre nouvelle.
L’auteur de cette note de synthèse, Maître Guillaume LE LU, expert en droits des NTIC et de l’IA et droit de la propriété intellectuelle, se tient à votre disposition pour répondre à vos questions pratiques ou approfondir sur le sujet.
Notes / références :
(1) Ce genre de considérations n’a pas empêché le Parlement européen d’adopter, le 16 février 2017, une surprenante résolution présumant une évolution des règles de droit civil destinées à accueillir en majesté le phénomène des « machines intelligentes »… en se référant dans ses "considérants" au Frankestein de Mary Shelley, au Golem de Prague ou au robot de Karel Capek !
(2) Par exemple, on peut citer l’accord passé en 2024 entre le groupe Le Monde et OpenAI.