LA
PROTECTION INTERNATIONALE DES MARQUES DE COMMERCE
(VOLET I)
En 2016, Apple
perdait à Pékin un procès en appel contre une modeste entreprise locale qui
accolait IPHONE sur des produits de maroquinerie (parmi lesquels des
étuis en cuir pour téléphones portables), une marque déposée en Chine par
l’entreprise chinoise en 2007, l’année du lancement de la commercialisation
mondiale du célèbre « iPhone ». Apple échouait ainsi à faire
respecter une marque emblématique malgré l’antériorité de son dépôt en
Chine (2002). Ce pays a valu bien d’autres déboires à la multinationale cofondée
par Steve Jobs. Même si d’autres facteurs peuvent aussi expliquer un faible
engouement du public chinois et la modeste part de marché dont jouissent les
produits d’Apple sur ce territoire, l’exemple illustre la nécessité – pour les
entreprises désireuses d’exporter leurs produits ou services voire de
s’implanter à l’étranger – de se pencher sérieusement sur la question de la
protection internationale des marques.
Qu’est-ce que le « principe de territorialité » ?
Les droits de propriété intellectuelle
ont un caractère territorial. Une marque est un bien immatériel. Par
définition, il peut être présent partout à la fois ou se diffuser hors frontières
(ubiquité). Il suffit de songer à une plateforme de « e-commerce »
agrégeant des quantités d’offres de produits de marque et permettant leur achat
en ligne par des millions d’internautes pour se représenter un tel
« don ». Mais le droit sur les marques reste quant à lui territorial,
car il est nécessaire qu’une loi nationale les définisse et fixe souverainement
le régime de leur protection. D’où un principe de territorialité,
qui signifie qu’une marque ne fait l’objet d’une protection (c’est-à-dire d’un monopole)
que dans les limites du territoire du pays où celle-ci a été enregistrée[1].
Ainsi, par exemple, une marque déposée par une entreprise à l’INPI (marque
française) ne lui confère une exclusivité que sur le territoire français.
Un concurrent pourra donc utiliser librement un signe distinctif identique ou
similaire dans un pays où cette marque n’est pas encore protégée, sans encourir
la sanction de la contrefaçon, même si le signe désigne des produits ou services
identiques ou similaires[2].
Pourquoi protéger ses marques à l’international ?
Ceci rend nécessaire de choisir une stratégie
destinée à protéger ses marques et logos à l’international et ainsi limiter
les risques d’appropriation des mêmes signes distinctifs par des tiers, de « dépôts
parasites », de dilution ou dégénérescence de la marque, faits qui portent
atteinte aux fonctions essentielles de la marque et à son caractère distinctif et
peuvent contrarier l’entrée ultérieure d’une entreprise sur les marchés qu’elle
cible. Anticiper l’extension ou le dépôt de marque à l’international permet
d’accompagner les évolutions ultérieures de l’entreprise et de sécuriser
l’image de ses produits et services et de ses marques auprès des clients avant
même l’accès au marché.
Quels sont les options et outils de protection d’une marque à l’international ?
Lorsqu’une entreprise entend protéger sa marque
à l’international, elle doit articuler le principe de territorialité avec
les outils juridiques internationaux.
Voici les principales options :
A. Dépôt national (par exemple, auprès de l’INPI) suivi d’une extension à l’international
Pour prendre le cas d’une entreprise opérant
depuis la France, un premier dépôt peut être fait auprès de l’INPI. Ce dépôt,
en vertu du principe exposé plus haut (1°), protège la marque seulement en France.
Mais cet enregistrement peut servir de base à une ou plusieurs
extensions internationales via des procédures ad hoc. Cet enregistrement
premier (dépôt de base) permet de faire bénéficier aux marques « réflexes »
déposées ensuite dans d’autres pays de la date du premier dépôt de marque,
à condition d’être réalisé dans les six mois (« délai de
priorité ») en vertu de l’article 4 de la Convention de l’Union de
Paris (« CUP »). Le titulaire de ce droit de priorité
peut déposer la marque dans tout autre pays membre de cette convention
internationale (CUP) sans risquer de se voir opposer l’antériorité d’un dépôt intervenu
entretemps. La CUP lie à ce jour 181 pays membres (source :
wipo.com), dont la France, ce qui confère à ce droit de priorité « unioniste »
une grande portée pratique.
B. Dépôt d’une
marque de l’Union Européenne après de l’EUIPO
La demande de dépôt d’une marque de l’Union
Européenne (MUE) est réalisée auprès de l’EUIPO (Office de l’Union
Européenne pour la Propriété Intellectuelle). Elle présente des avantages et inconvénients
par rapport aux autres options :
· * Avantages : un seul dépôt
assurant la protection de la MUE selon un régime uniforme dans les 27 pays membres
de l’Union ; les frais sont plus élevés que pour un seul dépôt
national (par ex. auprès de l’INPI) mais moindres qu’un dépôt divisé entre chacun
des pays ciblés ; contrairement à une marque internationale ou à des
dépôts nationaux multiples, la MUE n’est pas divisible.
· * Inconvénient : si la MUE est
invalidée (après son enregistrement par l’EUIPO) dans l’un des pays membres,
cela peut affecter le dépôt dans l’ensemble de l’UE sachant qu’il s’agit d’un titre
unitaire.
C. Dépôt d’une marque internationale en vertu du « système de Madrid » (OMPI)
Le
« système de Madrid » permet un dépôt international
centralisé traité par l’OMPI (Organisation
Mondiale de la Propriété Intellectuelle) : un seul dépôt de la marque dans
plusieurs pays membres à la fois.
A
partir d’un dépôt de base de marque dans un Etat membre du « système
», le titulaire effectue une demande de marque internationale désignant
les pays ciblés (en France, auprès de l’INPI, qui la transmet à l’OMPI), dans une
seule langue et moyennant une redevance unique globale. L’OMPI enregistre cette
marque, puis chaque office national désigné procède à un examen selon la loi de
son pays. Il ne s’agit pas un titre unitaire : la marque
internationale est divisible et équivaut à un ensemble de marques nationales
déposées dans chaque pays désigné, pouvant être acceptées ou refusées pays par
pays.
L’avantage
de cette procédure est sa simplicité, sa souplesse et son économie :
un seul dépôt auprès d’un « guichet unique » permet d’étendre la
protection jusqu’à 131 pays, de moduler la protection dans chaque pays choisi
et de faciliter les modifications et renouvellements grâce à une gestion
centralisée par l’OMPI. En outre, en cas de refus dans un pays, les enregistrements
dans les autres pays restent en vigueur, à la différence de ce qui se produit
avec un titre « unitaire » (ex : MUE).
D. Les enregistrements de marque directs auprès des différents offices nationaux
L’ultime option examinée est un enregistrement pays par pays, via les offices nationaux compétents (ex : USPTO aux États-Unis, JPO au Japon, OAPI en Afrique, etc.). Le recours à cette option est utile si un pays dans lequel un dépôt est souhaité n’est pas signataire du « système de Madrid » (C) ou si une stratégie de dépôt sur-mesure s’impose eu égard à la situation. Cette option semble adaptée à des dépôts ciblés limités à quelques pays et permet de diviser les dépôts et de répartir les dates et coûts d’enregistrement selon l’évolution des besoins. Ses inconvénients sont des coûts plus élevés liés à la multiplicité des offices (absence de « guichet unique »), aux frais de traduction et éventuellement d’intervention de conseils voire de mandataires locaux, et une lourdeur administrative, sans parler de la durée des démarches, sachant que le facteur temps est dans certains cas déterminant.
Choisir une stratégie adaptée et cohérente
Dans tous les
cas, il convient de définir la stratégie la plus adaptée à chaque situation,
en prenant en compte le plan marketing de l’entreprise et les paramètres des
options, en visant prioritairement les marchés importants en termes de
développement et où l’entreprise compte exploiter sa (ou ses) marque(s) à court
terme. Il faut aussi prendre garde aux régimes juridiques locaux et aux risques
concurrentiels variables suivant les pays ou les zones géographiques ciblés.
Il est également envisageable
de panacher ces options en fonction de la configuration. Exemple : commencer
par un dépôt de base à l’INPI avant d’envisager une extension à l’international
via le « système de Madrid », le dépôt d’une MUE et/ou d’autres
dépôts « régionaux » pour les pays cibles non-membres du
« système ». N’oublions pas que l’on peut aussi choisir de déposer des noms
de marques ou des logos distincts en France et ailleurs dans le monde pour
désigner un même produit ou service (stratégie de marque locale versus marque globale)
– exemple : marque Lay’s en France et Walkers en Irlande et
au Royaume-Uni désignant un même produit alimentaire.
L’essentiel est d’anticiper cette problématique et de la gérer avec cohérence afin de bâtir un portefeuille de marques adapté à son plan de développement et de permettre une défense internationale efficace des marques déposées, comme on le verra dans le prochain volet de l’article sur cette thématique.
L’auteur de cet article, Maître Guillaume LE LU, expert en droits des NTIC et de l’IA et en droit de la propriété intellectuelle, se tient à votre disposition pour répondre à vos questions pratiques ou approfondir sur le sujet et vous aider.
[1] Ou dans le territoire où une « marque
d’usage » (i.e. marque non-enregistrée) est utilisée, sachant que
certains pays lui reconnaissent un caractère juridiquement protégeable (mais ce
n’est pas le cas en droit français, sous réserve du cas particulier de la
« marque notoire » : voir note 2).
[2] Sous réserve de la marque « notoire », c’est-à-dire largement connue (ex-type :
Coca-cola), protégée même en l’absence de dépôt sur le territoire, en
cas d’atteinte créant un risque de confusion (art. 6 CUP).