30 déc. 2024

LA PROTECTION DU SAVOIR-FAIRE PAR L'ACCORD DE CONFIDENTIALITE (NDA) : UN ENJEU STRATEGIQUE POUR LES ACTIFS INCORPORELS DE L'ENTREPRISE

En 2023, une affaire avait fait grand bruit en Asie : un ingénieur, qui avait travaillé pour le géant sud-coréen Samsung, a été inculpé en Corée pour « vols de secrets commerciaux », accusé d’avoir dérobé des plans d’usines et des secrets de production pour construire une fabrique de puces mémoires en Chine. Un fait qui a pris l’allure d’une affaire d’Etat dans un contexte de concurrence féroce avec le voisin chinois sur le marché des semi-conducteurs. Ce « fait divers » économique illustre l’importance de la protection juridique du savoir-faire pour les entreprises. Quels sont les outils et la stratégie pour se prémunir des atteintes des concurrents ? 

Qu'est-ce que le savoir-faire ? 

Le savoir-faire, considéré comme une innovation technologique ou commerciale substantielle non-brevetable ou non-brevetée et ayant une valeur commerciale, ou plus étroitement comme « une connaissance technique, transmissible mais non immédiatement accessible au public et non-brevetée » (Jean-Marc Mousseron, Le know-how, JCP E 1972, supplément 1), constitue un actif incorporel essentiel afin de maintenir un avantage concurrentiel sur un marché et de valoriser une entreprise.

Plus encore que sur sa nature et sa substance, toute définition insiste sur un caractère essentiel de sa valeur commerciale et financière : son caractère secret.

C’est d’ailleurs une condition de sa protection en tant que « secret des affaires », aux termes des articles L. 151-1 et suivants du Code de Commerce (Loi n°2018-670 du 30 juillet 2018 issue de la transposition de la Directive UE 2016/943 du 8 juin 2016).

On assimile parfois (par abus de langage) ce savoir-faire à un « secret de fabrique » constituant l’essentiel de la valeur d’une entreprise (par exemple, un algorithme de fixation des prix d’un service comme Google Ads : voir CA Paris, Pôle 1, Ch. 8, 13 septembre 2024, n°24/01498). Il ne faudrait toutefois pas confondre ce savoir-faire avec le secret de fabrique visé à l’article L. 621-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, dont le détournement peut entraîner l’application des sanctions pénales prévues à l’article L. 1227-1 du Code du Travail (2 ans de prison et 30 000 Euros d’amende). D’interprétation stricte, la jurisprudence le définit comme un « procédé technique industriel », ce qui ne recouvre pas tous les savoir-faire que nous évoquons dans cette note et qui sont susceptibles d’être protégés juridiquement par d’autres voies que le droit pénal (même s’il ne faut pas nécessairement l’exclure). Pris dans un sens plus large, nous retenons du savoir-faire la définition générale qu’en donnait le Professeur Jean-Marc Mousseron, à savoir « un ensemble d’informations pour la connaissance desquelles une personne désireuse de faire des économies d’argent et de temps est prête à verser une certaine somme (…) », qui sous-tend l’acception technologique ou non technologique donnée plus haut en introduction.     

Comment protéger des actifs incorporels non protégés par un titre de propriété intellectuelle ?

Rappelons tout d’abord qu’aucun droit privatif ne peut porter sur une innovation non brevetée ou couverte par un certificat d’utilité reconnu par l’autorité publique : seul un titre de propriété industrielle confère à l’inventeur ou au déposant titulaire des droits un monopole d’exploitation sur l’innovation (cf. Frédéric Pollaud-Dulian, La Propriété Industrielle, 2e Éd., n°871 et s.). Or, les découvertes scientifiques, « créations esthétiques », concepts, méthodes mathématiques, plans, principes et méthodes commerciales ou méthodes en matière de jeu ou d’activités intellectuelles, les « présentations d’informations » ainsi que les « programmes d’ordinateur » ne sont pas protégeables par un brevet (article L. 611-10-2° du Code de la propriété intellectuelle), même s’il s’agit là d’innovations de très grande valeur commerciale.

En l’absence de droit de propriété intellectuelle, il existe un grand risque de perte de l’avantage concurrentiel et de la valeur de l’innovation, compte tenu de la concurrence accrue à l’échelle mondiale et des risques inhérents à la cybercriminalité et à l’espionnage industriel, alors que les investissements consacrés à la R&D peuvent être substantiels ou que l’innovation en est encore au stade du test, du financement ou du lancement commercial.

Quels sont les modes de protection envisageables en dehors du brevet ?

Il existe d’autres modes de protection qu’un brevet ou certificat d’utilité pour réduire les risques d’atteintes au savoir-faire et de concurrence illicite ou de parasitisme économique des innovations ou des produits et services résultant de l’innovation, en particulier :

- le droit des marques (art. L. 713-1 et s. CPI),

- les dessins et modèles (art. L. 511-1 et s CPI),

- ou encore le droit d’auteur qui peut permettre de protéger par exemple les « créations esthétiques », des « présentations d’informations » formalisées de manière originale (art. L. 111-1 et s. CPI), ou encore des bases de données (art. L. 112-3 CPI) et des logiciels (art. L. 122-6 CPI), expressément exclus de toute protection par un brevet.

Mais ces alternatives légales, si elles constituent un excellent complément d’un savoir-faire technique ou commercial (la marque en matière de franchise en est l’exemple type : voir par exemple : CA Paris, 16 mai 2013, n°12/16960 à propos d’un contrat de transmission au franchisé d’un savoir-faire technique et commercial associé à la mise à disposition d’une marque commerciale dans le domaine de la boulangerie) ne suffisent pas, à eux seuls, à protéger un savoir-faire. 

Le droit des marques ne protège que des signes distinctifs liés à certains types de produits et services, les dessins et modèles que l’apparence des produits et le droit d’auteur que la forme ou l’expression originale des créations mais ni les concepts ou les méthodes ni l’idée sous-jacente ou le contenu d’une création originale ou d’une connaissance, même innovante. 

Ainsi, par exemple, à la différence de son code source, les fonctionnalités d’un programme d’ordinateur ne bénéficient pas d’une protection légale contre la contrefaçon en application du droit d’auteur, la jurisprudence considérant que celles-ci « ne correspondent qu’à une idée » (voir Cass. Civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-21.154).

En effet, en droit de la propriété intellectuelle, les idées sont, selon l’adage consacré, « de libre parcours ». Ce qui signifie que chacun peut licitement se les approprier afin de concevoir des innovations et des produits et services destinés à concurrencer l’auteur de découvertes ou de concepts innovants antérieurs, ce que la jurisprudence rappelle de manière constante (voir par exemple Cass. Civ. 1, 22 juin 2017, 14-20.310 : « les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas un acte de parasitisme »). 

Cette liberté de la concurrence s’explique également par l’application du principe général de la « liberté du commerce et de l’industrie » (principe de valeur constitutionnelle).

La protection légale du « secret des affaires » contre les atteintes illicites

Ce n’est que par exception à ces principes de liberté que la Loi n°2018-670 du 30 juillet 2018 sur la protection du savoir-faire et des informations commerciales par le secret des affaires a consacré une protection légale du savoir-faire à la condition qu’il soit protégé par des « mesures de protection raisonnables », autrement dit efficaces et suffisantes, compte tenu du contexte et de la nature de l’information protégée (« compte tenu des circonstances ») « pour en conserver le caractère secret » (art. L. 151-1 Code de Commerce).

Ce statut de « secret des affaires » du savoir-faire et de certaines informations commerciales leur garantit en effet une protection de base contre les atteintes illicites par des tiers, telles que notamment : l’obtention, la divulgation ou l’utilisation non autorisée par leur détenteur légitime, la production, l’offre, la mise sur le marché, ou encore l’importation, l’exportation ou le stockage de « tout produit résultant de manière significative d’une atteinte au secret des affaires » (cf. art. L. 151-5 et 151-6 Code de Commerce).

Une réserve importante : le détenteur légitime d’un secret des affaires ne pourra se prémunir contre l’obtention d’une connaissance ou d’un secret technique ou autre par des moyens licites, même lorsqu’elles recouvrent son propre savoir-faire. Ce qui démontre qu’il ne jouit nullement d’un droit de propriété ou d’un monopole d’exploitation sur ce savoir-faire et ses connaissances secrètes, mais seulement d’une protection « minimale » contre les modes d’obtention illicites et les divulgations et utilisations non-autorisées. Les modes licites d’obtention d’un secret sont définis à l’article L. 151-3 du même Code comme :

- « Une découverte ou une création indépendante ;

- L’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret.»

La « rétro-ingénierie » des produits est donc un risque à prendre en compte par le détenteur légitime du savoir-faire, et la réserve d’une stipulation contraire milite en faveur des clauses contractuelles visant à protéger la confidentialité du savoir-faire et à restreindre ou interdire le reverse engineering, afin de limiter les risques de reproduction d’innovations ou de «parasitisme économique ».

Le détenteur légitime du savoir-faire illicitement divulgué ou détourné peut recourir à un arsenal de mesures préventives, défensives et réparatrices adaptées à ces types d’atteintes illicites au patrimoine incorporel. Elles s’inspirent des sanctions et mesures prévues en cas d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle (art. L 152-1 et s. Code de Commerce). Les armes du détenteur légitime d’un secret d’affaires surpassent ainsi nettement celles prévues par le droit commun et la jurisprudence en cas d’actes de concurrence déloyale ou de parasitisme économique, réparés sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle (article 1240 du Code Civil). 

Néanmoins, les recours et mesures prévus en cas d’atteintes illicites ne sont pas assimilables à l'action en contrefaçon et les droits du détenteur ne lui confèrent aucun titre de propriété intellectuelle ou industrielle. Il s’agit d’une action en responsabilité civile délictuelle, laquelle suppose, outre la démonstration du caractère secret et substantiel et valorisable du savoir-faire, celle d’une atteinte illicite, d’un préjudice matériel et/ou moral et d’un lien de causalité entre les préjudices et les manquements allégués à l’encontre du ou des tiers poursuivis.

Pourquoi conclure un accord de confidentialité ou « NDA » ?

D’où le caractère essentiel, et même indispensable, de conclure des accords de confidentialité afin de permettre à l’entreprise détentrice d’un savoir-faire de valeur :

- de s’assurer que le savoir-faire répondra bien à la qualification de « secret des affaires », entraînant une protection légale accrue en vertu de la loi du 30 juillet 2018 ;

- d’étendre au besoin la notion de savoir-faire ou d’informations commerciales protégées ;

- de renforcer la protection offerte par la loi sur le « secret des affaires », notamment au moyen de clauses de pénalité en cas d’atteintes (violation d’une obligation) ;

- de conserver la preuve de la mise en œuvre de « mesures de précaution raisonnables » (…) pour (...) « conserver le caractère secret » du savoir-faire (art. 151-1 C. Com. précité).   

L’accord de confidentialité ou de « non-divulgation », s'impose donc comme un outil juridique absolument indispensable afin de protéger le capital immatériel issu de l’innovation.

Qu’est-ce qu’un accord de confidentialité ou « NDA » (Non-Disclosure Agreement) ?

Souvent désigné en pratique par l’anglicisme « NDA », l’accord de confidentialité est un contrat (ou un acte unilatéral) engageant une, deux ou une multiplicité de parties à garder secrètes et à ne pas réutiliser les informations définies comme confidentielles autrement qu’aux fins et pour la durée limitée définies dans l’accord. 

Lorsque plusieurs parties (et non une seule) ont intérêt à protéger le secret des connaissances constitutives d’un savoir-faire ou d’actifs immatériels afin de permettre la mise à disposition de renseignements économiques ou techniques de valeur sans risquer leur divulgation, il est bilatéral. Dans le cas contraire, il peut être unilatéral (les obligations de confidentialité n’engagent qu’une seule partie signataire).

Les engagements d’un NDA ne se recoupent pas avec l’obligation de confidentialité mentionnée à l’article 1112-2 du Code Civil qui n’est qu’un rappel de la possibilité pour une partie d’engager la responsabilité délictuelle d’une autre en raison de la divulgation déloyale de renseignements obtenus par cette dernière « à l'occasion des négociations » (ex : des pourparlers avant contrat).

L’intérêt de conclure un accord de confidentialité est qu’il engage la responsabilité contractuelle de la partie fautive et que les obligations de non-divulgation prévues s’étendent à toute la durée fixée dans l’accord, donc souvent bien au-delà de la durée prévue pour les échanges ou la divulgation d’informations entre les parties, afin d’en protéger le secret vis-à-vis des tiers quand les parties ont cessé leurs relations commerciales ou leur collaboration.

Il couvrira de nombreuses situations, c’est-à-dire toutes les fois qu’un tiers risquerait d’être mis en contact avec les éléments d’un savoir-faire ou des informations commerciales confidentielles, par exemple : partenariats commerciaux ou techniques, collaboration salariée ou non (même bénévole), sous-traitance, cotraitance, conseil, prestations de services, pourparlers avec des investisseurs ou de futurs actionnaires, pactes d’associés, etc.

La conclusion d’un « NDA » est un préalable indispensable à toute discussion avec des tiers pour le détenteur d’un savoir-faire et/ou d’informations commerciales stratégiques, ne serait-ce, par exemple, que parce que la perte de la nouveauté en raison de la divulgation non limitée par un NDA empêcherait le dépôt ultérieur d’un brevet pour une innovation non encore brevetée mais potentiellement brevetable (art. L. 611-11 CPI : « Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique », lequel « est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. »)

Quelles sont les formes et les « clauses essentielles » d’un accord de confidentialité ?

L’accord de confidentialité peut prendre en pratique des appellations et formes diverses : engagement séparé, annexe à un contrat ou clauses au sein d’un accord plus vaste, mais il doit dans tous les cas être écrit et comporter, pour être efficace, un certain nombre de clauses essentielles. Parmi celles-ci, on pourra citer notamment :

- Les définitions des informations et du savoir-faire objets de l’accord ;

- Les destinataires autorisés à accéder aux informations et au savoir-faire et leur obligation de signer au préalable des « clauses miroir » ;

- Les obligations de la ou des parties dans la sécurisation des données sensibles, les interdictions de divulgation et les conditions et restrictions d’accès et d’utilisation des données confidentielles ;

- La durée au-delà de laquelle l’utilisation des éléments protégés est interdite et les obligations de restitution ou de destruction des informations au terme de l’accord ;

- Les sanctions en cas de violation d’obligations de confidentialité, en particulier la clause de pénalité financière d’un montant dissuasif ;

- Les exceptions (cas dans lesquels l’information est considérée comme publique et « libre de droits »).

Outre son intérêt pédagogique, la supériorité du « NDA » sur la seule protection légale par le « secret des affaires » et a fortiori sur le droit commun de la responsabilité civile pour concurrence déloyale ou parasitisme est que la violation d’une obligation de non-divulgation stipulée engage la responsabilité contractuelle du débiteur de l’obligation de confidentialité, le plus souvent sur la base d’une obligation de résultat (art. 1231-1 C. Civil). Cela facilitera la preuve des atteintes illicites au savoir-faire protégé et permettra de sanctionner et réparer plus vite et efficacement le préjudice en cas d’atteinte constatée, tout en jouant un rôle préventif essentiel, notamment par le jeu de la clause pénale (voir en détail ci-dessous).

Focus sur la clause de pénalité applicable en cas de violation des obligations du NDA 

L’objet des clauses de pénalité est à la fois de prévenir les atteintes par une sanction pécuniaire dissuasive (en rendant le coût d’une violation des obligations de confidentialité trop élevé pour qu’un débiteur puisse être tenté de divulguer ou détourner le savoir-faire protégé) et en cas d’atteinte de faciliter la réparation des dommages. La pénalité financière stipulée présentant un caractère forfaitaire et automatique (elle sera applicable « de plein droit »), elle jouera dès que la violation d’une obligation quelconque sera constatée. Le juge sera lié par les termes utilisés, d’où l’intérêt de soigneusement rédiger cette stipulation.

Si tel est le cas, le créancier de l’obligation de confidentialité n’aura pas besoin d’établir un lien de causalité ni le quantum de son préjudice, ni même la matérialité du dommage pour réclamer et obtenir, si nécessaire en justice, l’application de la clause et le versement à première demande de la pénalité financière prévue. Il suffira de suivre à la lettre les modalités convenues.

Mais le détenteur du savoir-faire devra prendre garde à bien formuler la clause et à prévoir une réparation forfaitaire suffisante, car, eu égard à la nature juridique de la clause pénale, la jurisprudence l’interprète comme un plafond de responsabilité et interdit de cumuler la pénalité forfaitaire avec des dommages et intérêts réparant le même dommage (ex. : CA Agen, 20 août 2003, n°01/1687). Des dommages et intérêts supplémentaires peuvent toutefois être obtenus s’ils visent à réparer un « préjudice distinct » de celui indemnisé par la pénalité financière stipulée (jurisprudence constante : cf. Cass. Civ. 1, 12 février 1964 : Bull. Civ. I, n°82 ; Cass. Com., 12 juillet 2011, n°10-18.326 ; Cass. Civ. 3e, 17 mars 1993, n°91-13.634). Il convient donc pour le détenteur de prendre en compte cette quasi-interdiction de cumul dans la rédaction de la clause afin de ne pas se priver d’une réparation suffisante des préjudices économiques et immatériels, qui peuvent être importants mais difficiles à évaluer.

Les limites de l'accord de confidentialité et la nécessité d’une politique de défense active et passive du savoir-faire stratégique des entreprises.

Malgré ses très nombreux atouts, un accord de confidentialité n’est pas une garantie absolue du maintien du secret d’un savoir-faire protégé. Il vaut donc mieux pour les entreprises s’entourer des conseils et services d’un avocat d’affaires expert en propriété intellectuelle et droit des technologies de l’information et communication et de la protection des actifs immatériels afin de définir avec lui les meilleures mesures de protection pratiques, techniques et juridiques et la meilleure stratégie de protection et de défense, le cas échéant judiciaire, de son savoir-faire et de ses informations stratégiques vis-à-vis des risques ou atteintes illicites internes ou externes. 

Parmi ces mesures, on peut citer l’élaboration de sanctions dans les règlement intérieur et de chartes informatique, éthique et « IA » et d’annexes aux contrats de travail, de partenariat et de sous-traitance, conditions générales, etc., le dépôt d’enveloppes Soleau ou e-Soleau, la mise en place de procédures internes de classification et de restrictions d’accès techniques, physiques et informatiques aux données sensibles, la sécurisation des données numériques et du « Cloud », la désignation d’un délégué spécial à la préservation des données sensibles, les informations et formations systématiques du personnel et des intervenants extérieurs, etc. 

Il faut d’autant plus y être attentif que c’est une condition du maintien de la protection légale d’un savoir-faire et que les tribunaux pourront se montrer exigeants, voire sévères avec son détenteur s’il néglige de se protéger en justice contre des atteintes ou des risques (voir en ce sens par ex. : CA Paris, Pôle 5, Ch. 5, 1er avril 2021, n°18/22373). Ceci l’oblige à veiller sur ses actifs incorporels et informations stratégiques avec la mise en place de process adaptés et régulièrement mis à jour et à lancer au besoin des actions en justice préventives ou curatives en cas d’atteintes illicites ou de risques avérés (par exemple, en cas de cyberattaques ou d’utilisation par des concurrents).

En résumé

Le « NDA » doit être vu comme un élément essentiel mais non suffisant d’une stratégie globale de protection des actifs incorporels incluant le savoir-faire et les connaissances stratégiques, à mettre en place et à actualiser en fonction des évolutions technologiques et économiques au moyen de mesures organisationnelles, techniques et juridiques diversifiées. En classifiant les informations sensibles, en anticipant les différents niveaux de risques, en se défendant vigoureusement et en s'entourant d'experts juridiques compétents et aguerris, les entreprises peuvent préserver leur patrimoine immatériel essentiel et consolider leur valorisation et leurs avantages concurrentiels dans un environnement économique et numérique mondialisé en constante évolution.

N'hésitez pas faire appel à nous si vous avez des questions juridiques ou des besoins pratiques concernant la protection de vos actifs incorporels. 

Guillaume LE LU

Associé fondateur du cabinet KOBALT (Aarpi)


3 déc. 2024

PROPPRIETE INDUSTRIELLE ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE GENERATIVE

ABSTRACT DE l’ARTICLE : "BREVET – L’IA EST-ELLE L’INVENTEUR DE SES PROPRES CRÉATIONS ?"

J'ai rédigé un article sur ce sujet, proposé à la publication dans une revue juridique française spécialisée dans les domaine IT et IP (technologies de l'information et de la communication et propriété intellectuelle). Je ne peux donc pas le publier. En tout cas ni ici ni maintenant. Dans l'attente du retour du comité de rédaction de la revue, je vous en livre toutefois un bref aperçu. Si la problématique de l'IA et de la protection des créations ou inventions générées par l'IA par la propriété intellectuelle vous intéresse ou vous intrigue, cette mise en bouche est pour vous. Bien plus de réponses bien sûr dans l'article in extenso (d'une douzaine de pages et environ 6000 mots notes comprises). Mais je me ferai un plaisir de répondre si vous avez des questions concrètes et pratiques liées à votre domaine d'activité.

Les problématiques soulevées par l'intelligence artificielle générative en lien avec la propriété intellectuelle et industrielle comptent parmi les plus passionnantes du moment. Et sachez que si beaucoup reste à faire au plan national et international (lois et conventions internationales), il existe déjà certaines réponses jurisprudentielles claires et précises dans le domaine des brevets, qui est l'objet de cette étude de droit comparé en matière de brevets. 

Cet article aborde les problèmes entourant la brevetabilité des inventions créées par une intelligence artificielle dite "générative" (en anglais GenAI) et les débats portant sur la possibilité ou non de désigner un système d’IA comme l’inventeur dans le cadre d’un dépôt de brevet d'invention. Il s'efforce aussi d'apporter des réponses juridiques et pratiques pertinentes et les plus précises possibles aux questions qui peuvent se poser aux inventeurs et aux praticiens désireux de protéger leurs inventions réalisées par ou avec l'assistance de l'IA en l'état du droit positif.

Alors que le marché mondial de l’IA générative connaît une croissance très forte depuis une décennie et "exponentielle" depuis 2023 et que la recherche et la concurrence internationale font rage (il suffit pour s'en convaincre de penser au nombre de publications scientifiques sur l'IA et de brevets déposés fondées sur l'IA générative déposés aux Etats-Unis et en Chine, par exemple), la question de la protection des inventions créées par l’IA ou à l'aide de l'IA appelle des réponses juridiques prévisibles et des solutions pratiques adaptées afin d'encourager et de récompenser l’innovation, de garantir aux inventeurs ainsi qu'aux entreprises et investisseurs qui financent leurs projets des retours sur investissements dans le domaine de la recherche et du développement et de permettre ainsi aux applications sans cesse plus nombreuses d'être efficacement protégées par des titres de propriété industrielle reconnus par les offices de brevets nationaux ou internationaux. 

La problématique essentielle traitée dans cette étude est la suivante. La plupart des systèmes juridiques exige que l'inventeur soit une personne physique dotée de la personnalité juridique, ce qui pose un dilemme au déposant et aux offices de dépôt lorsque l'IA « crée » ou génère du moins des inventions potentiellement brevetables de façon autonome ou quasi-autonome : l'IA (c'est-à-dire la machine) peut-elle alors être désignée comme l’inventeur ? Doit-on et peut-on désigner l'humain (propriétaire, concepteur ou simplement la personne qui se sert de l'IA générative) comme le seul inventeur en sa qualité de personne physique ? Ou bien faut-il recourir à un mode de protection distinct et alternatif au brevet pour protéger le savoir-faire sous-jacent (le secret des affaires, par exemple) ? 

La question, d’abord d'ordre pratique, pose aussi celle, plus large, de l’adaptation des droits internes et international des brevets actuellement en vigueur à ce nouvel environnement ou à leur "dépassement" du fait des dernières avancées technologiques de l'IA forte. Ces droits et solutions qui excluent les systèmes d'IA du statut d’inventeur permettent-ils bien d’encourager l’innovation dans ce secteur d'activité et de protéger les intérêts légitimes des inventeurs, des investisseurs et du public ou devrait-il être réformé afin de tenir compte de cette technologie  à l’origine d’innovations de plus en plus nombreuses et souvent utiles au plus grand nombre (santé, pharmacie, etc.) ?

Ce débat suscité par "l’affaire DABUS », un système d’IA créé par un chercheur de l’université du Missouri, M. Stephen Thaler. Celui-ci a, avec l'aide d'un professeur d'université britannique spécialisé en droit de la propriété intellectuelle (M. Abbott) et d'avocats ou de CPI, déposé des brevets dans plus d’une douzaine de pays et sur les cinq continents en désignant « DABUS » (l'IA) en qualité d'inventeur d'un récipient alimentaire basé sur la géométrie fractale et d'une "flamme neuronale" destinée à alerter en situation de danger (deux inventions). La réponse des offices et juridictions saisies des recours de M. Thaler portant sur les décisions de rejet a presque toujours été négative. A l’exception d’un brevet admis par l’office en Afrique du Sud (dont la portée est réduite puisqu'il n'y existe aucun examen de contrôle au fond concernant la qualité d'inventeur) et d’une décision rendue par un tribunal en Australie en juillet 2021 (décision réformée en appel en 2022), la réponse unanime est que la machine ou l'IA ne peut jamais être désignée en qualité d'inventeur, quelle que soit le degré d'autonomie et l'importance décisive de sa contribution. 

L’OEB, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, notamment, ont suivi des raisonnements similaires pour rejeter les demandes présentées par M. Thaler avec l’aide d’avocats en propriété intellectuelle et du Pr. Abbott, un universitaire britannique à l’origine de The Artificial Inventor Project (voir le site Internet dédié au projet). Maigre résultat. Le débat a toutefois été lancé parmi les experts et auprès du public intéressé, ce qui était l’un des objectifs principaux du projet. Ainsi, plusieurs magistrats (notamment en Australie ou au Royaume-Uni) qui ont eu l’occasion de statuer sur cette affaire médiatisée, ont laissé clairement entendre qu’une IA pourrait être désignée comme inventeur lorsque l'humain ne joue qu'un rôle mineur dans la conception et la réalisation et qu'elle est bien seule à l'origine de l'activité inventive, ou en tout cas que le droit matériel des brevets actuel ne répondrait plus qu’imparfaitement aux enjeux de la protection des innovations de l’IA générative.

Si le droit, en particulier en particulier les conventions internationales portant sur les brevets, n’est plus adapté, comme le prétendent certains experts, chercheurs et acteurs économiques, de quelle façon pourrait-il l’être ? Création d'un droit sui generis pour intégrer l'IA dans les dispositions législatives ou conventionnelles ? Admission d'un statut de co-inventeur à côté de l'inventeur humain ? Autres solutions? Et quelles seraient les implications juridiques d’un tel changement de paradigme ? Le débat reste ouvert. L'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle a évoqué quelques "pistes" dans des rapports qui ont suivi des consultations. Preuve que le sujet intéresse de plus en plus d'acteurs et d'experts au niveau international et pourrait déboucher sur d'éventuelles réformes dans les mois ou années à venir. 

Reste qu'en pratique, il faut se contenter du droit des brevets en vigueur. Dès lors, que faire en l’état du droit positif sachant que l'IA ne peut être désignée comme l'inventeur et qu'il reste un doute légitime quant à la qualité d'inventeur de l'utilisateur ou du concepteur humain dans le cas d'une IA générant des inventions de façon plus ou moins autonome ? Le déposant d'une demande de brevet peut-il se déclarer comme inventeur alors même que l'IA a "créé" de toutes pièces l'invention sans courir de risques d'un refus par l’office de dépôt ou par la suite d'une invalidation du brevet ainsi enregistré ? Quelle est la personne physique qui pourra être désignée comme l'inventeur lors d'un dépôt de demande de brevet en pareille hypothèse ? Le propriétaire de la machine ? Le concepteur de l'IA (le développeur ou l'éditeur du logiciel qui en a défini les algorithmes) ? L'utilisateur de l'IA générative qui formule les bonnes questions ou soumet les bons concepts à I'IA (input) afin de permettre à l'IA de les générer en utilisant toutes ses ressources inventives (output) ? 

Une décision rendue par la Cour Fédérale d’Allemagne en juin 2024 apporte des réponses éclairantes à cette problématique en autorisant, à certaines conditions, un dépôt de brevet désignant l'humain comme inventeur dans l'hypothèse d'une IA générative dans l'affaire "DABUS". Il existe donc déjà des réponses pratiques positives en pareil cas, du moins en Europe (la question est plus délicate aux Etats-Unis, en l'état du droit). 

Toutefois, en cas de doute ou de choix, l'être humain ou l'entreprise qui utilise l'IA générative pourrait songer à recourir à des modes alternatifs de protection du savoir-faire ainsi généré tels que le secret des affaires en particulier. Même si la protection par le secret n'offre pas les mêmes avantages que le brevet, elle peut constituer une bonne alternative, en lieu et place ou dans l'attente d'un éventuel dépôt de brevet d'invention. 

L'IA générative n'en a pas fini en fout cas de faire parler d'elle et de susciter des interrogations qu'il nous appartient, à nous praticiens experts du droit des technologies de l'information et de la propriété intellectuelle, de résoudre au mieux de l'intérêt de nos clients.

Plus d'informations dans l'article à paraître (en revue ou ici), je l'espère prochainement. En attendant, n'hésitez pas à me contacter si vous avez des questions sur la protection d'une invention fondée sur l'IA ou générée par l'IA, ou tout simplement si le sujet développé dans l'abstract ou des sujets connexes vous intéressent.

Guillaume LE LU

Avocat au Barreau de Paris
Associé fondateur KOBALT